Isabelle Doyen, parfumeur chez Annick Goutal
Au vu du succès qu’a suscité le portrait de Jean Guichard, parfumeur chez Givaudan, j’ai décidé de poursuivre et de vous révéler des portraits uniques de parfumeurs créateurs que j’apprécie. Ils ont été pour la plupart réalisés, il y a quelques temps au moment où je m’apprêtais à leur dédier un livre. Mais ironie du sort, j’ai été devancée de part ma spontanéité…. Aujourd’hui, je partage avec vous l’histoire touchante et passionnante d’Isabelle Doyen, parfumeur chez Annick Goutal.
Ses premiers souvenirs
« À l’âge de cinq ans, je passais une grande partie de mon temps dans une maison au bord de la mer à St Gilles Croix de Vie avec mon frère et ma grand-mère paternelle. Dès notre arrivée, se dégageaient de cette maison, des odeurs humides, de renfermé de bord de mer qui ne partaient jamais complètement. À cette même époque, j’étais poursuivie par une autre odeur, celle de mon oreiller fabriqué avec du son. Ce parfum que j’appelais « odeur de souris » me rendait tellement folle que je le mordillais. D’où régulièrement l’acquisition d’un nouvel oreiller ».
Des odeurs puissantes, telles les fleurs, les fruits et les végétaux de Tahiti, où elle a passé son enfance et une partie de son adolescence, l’ont bercée et marquée. Elle avoue même, mieux connaître le tiaré que le muguet ! Une odeur qu’elle sentait surtout le dimanche à la messe, à ne manquer sous aucun prétexte. Les hommes et les femmes s’en enduisaient les cheveux. « Au bout d’une heure et demie, l’atmosphère de l’église était saturée de cette odeur. C’était un spectacle incroyable et fascinant que de voir ces femmes qui chantaient. Ce sont malgré tout de bons souvenirs ». De retour en France, les odeurs du jardin de sa grand-mère maternelle, juste à côté de l’église, retiendront son attention. Là, Isabelle découvre des rosiers et des poiriers.
À cette époque, on lui donnait des tartines beurrées avec des tranches de poire pour le goûter. Or, elle se demandait comment la poire pouvait avoir un goût de rose : une première énigme à résoudre !… Son premier exercice de style sera centré sur le thème d’une rose poire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là !… Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’elle rencontre Annick Goutal. Très vite, Isabelle découvre que cette dernière est hantée par l’idée d’un parfum de rose qui sente la poire. Hasard ou destin… Annick Goutal avait rencontré la sienne dans un jardin de curé dans l’Aveyron. Le parfum sera « Ce soir ou jamais », une rose, poire toute en transparence ; l’œuvre de la vie d’Annick et la création préférée d’Isabelle.
Les énigmes à résoudre…
Petite fille curieuse, elle se pose très tôt beaucoup de questions sur les odeurs et leurs liens avec les saveurs. Cette dernière pensait que tout ce qui sentait bon, devait d’être bon à manger. « J’ai fait à six ans mes premières expériences avec les “petits Dop” en berlingot. Je goûtais un peu puis découvrais que ce n’était pas bon du tout ! J’oubliais et je recommençais ! ». Plus tard, Isabelle sera intriguée par l’odeur que les femmes ou plus particulièrement les mères dégagent. « J’étais complètement fascinée par ce phénomène si mystérieux ».
Petit à petit, Isabelle réalise que l’on peut avoir différents parfums, et qu’ils sont enfermés dans des flacons. « J’ai ensuite compris que des hommes créaient ces parfums, grâce au père d’une amie qui travaillait chez Guerlain. C’est à ce moment-là, que j’ai pris connaissance de l’ISIPCA. Au départ, je voulais faire de la biologie végétale ». Les plantes ont toujours fait partie de son univers.
Finalement, Isabelle prendra le chemin de l’ISIPCA, qu’elle ne quittera jamais vraiment, puisqu’encore aujourd’hui, elle y donne des cours d’olfaction. Tout comme Monique Schlienger lui a communiqué sa passion, cette dernière transmet la magie et le mystère de ces plantes à parfum à ses élèves. Des cours qui restent gravés dans la mémoire de tous les parfumeurs qui ont eu la chance de l’avoir comme professeur. « J’apprécie ces échanges avec les étudiants. À chaque fois, je découvre de nouvelles facettes que je revisite, sans jamais me lasser de les sentir à nouveau ».
Ses lectures, ses voyages
Chaque matière première, qu’elle découvre, la fait voyager. Isabelle aime jouer avec elles. Sa tendance rêveuse l’a transporte très facilement vers d’autres mondes. « Je suis comme des “Esseintes” à qui il suffisait d’aller dans une gare où partaient des trains pour l’Angleterre, pour entende parler l’anglais et visiter le pays. Je fais la même chose avec les matières premières ». Elle est toujours en quête de voyages imaginaires ou de rencontres avec des gens qui lui racontent leur découverte. Et, Marcel Proust fait partie des auteurs qui retiennent son attention pour leur multiples expériences. Elle le compare à un athlète qui a besoin de s’échauffer avec ses grandes phrases avant de découvrir des flashs d’illumination qui le transportent hors du temps. D’après elle, l’histoire de la madeleine n’est pas la plus renversante de son œuvre. Lors de ses lectures de Proust, Isabelle est à la recherche de ses descriptions ponctuelles où il dévoile que l’on peut être hors du temps, au travers de sensations, telles les odeurs et le goût. Elle dresse alors un parallèle avec le parfum de l’autre que l’on peut croiser dans la rue, ou des odeurs qui viennent vous prendre par surprise. Ce sont pour elle, de précieux moments qui la transportent.
De cette même façon, Isabelle est attirée dans le choix de ses lectures par des livres qui lui font découvrir des mondes auxquels elle peut accéder si elle en a envie ! Elle me confie aimer avoir le choix. D’ailleurs, exercer son métier de créatrice chez elle, en est un. Son aventure s’appelle Aromatique Majeur, sa société de création, donc son principal client est Annick Goutal.
La mise au point d’accords en parfumerie procède de la même démarche. « Les recherches ne s’arrêtent que lorsqu’on atteint une alchimie. Ce grain de folie et de mystère que l’on n’explique pas ». Celui qui constitue la clé de voûte d’un parfum, la petite inflexion qui envoûte et reste en mémoire. Là, toute la difficulté de la création en parfumerie et contrairement à d’autres parfumeurs Isabelle ne redoute la page blanche. Mais sa passion est avant tout, l’absence de règle !….
Les songes d’Isabelle
« J’ai l’impression de n’avoir exploré qu’une petite partie des possibilités qui nous sont offertes ». Isabelle rêve d’un parfum abstrait qui n’a pas d’ancrage dans la réalité. Un jour peut-être…
En attendant, Isabelle aime explorer les fleurs, un de ses champs de prédilection. Même la Mandragore, la plante des sorciers,. “Je voulais privilégier ses accents lumineux en jouant avec beaucoup de naturel tout en donnant un côté narcotique et presque curatif avec la sauge”.
Aujourd’hui, “Mandragore” est un parfum de la collection d’Annick
Goutal, où tout est vibrations subtiles ; la fraîcheur de la bergamote, le poivre noir et l’anis se mélangent au gingembre et à la mangradore. Et, la sauge sera le lien entre la tête et le fond. Isabelle avoue adorer lire Harry Potter, les histoires de fées et de magicien. Nulle doute qu’elle aurait rêvé d’avoir une baguette magique ; la sienne ou les siennes sont blanches, ce sont ses touches…(un des outils duparfumeur qui lui permet de sentir ses parfums). Juste un mot et notre parfumeur s’envole vers des contrées lointaines et se raconte de nouvelles histoires. Elle aime rêver…Et quand elles deviennent réalité, c’est encore mieux. Depuis que cette dernière est créateur de parfum, elle s’était promise d’enfermer dans un flacon une odeur de tiaré et de frangipanier. Pas facile. Il a fallu Camille Goutal et un voyage à Maurice ou Camille découvre la fleur de frangipanier si douce, la plus tendre et la plus délicieuse des fleurs exotiques. Ce sera “Songes”, un nom qu’Annick Goutal avait déposé. Ce nom traduit parfaitement l’idée de ces odeurs de fleurs blanches que sont le frangipanier et le tiaré à la tombée de la nuit. Des fleurs, un peu moins bien élevées…comme l’aurait aimé Annick !
Sa passion des fleurs
Cette passion des fleurs, Isabelle l’a partagé avec Annick Goutal avec qui elle a travaillé pendant de nombreuses années. Entre les deux femmes, une vraie complicité et une vraie collaboration se sont naturellement mises en place. “Elle me lançait des défis. D’ailleurs elle osait à certains moments plus que moi”. Une overdose de mimosa présente dans “Grand Amour” en est un exemple. Ses parfums portent la mémoire des gens qu’elle a aimés, des paysages et des instants rares qui marquent la vie. Ils offrent beaucoup plus qu’une simple expérience sensitive, ils transmettent une part d’éternité. L’idée de “Gardénia Passion” est venue à la suite d’un de ses voyages au Japon. Ce parfum est une vraie performance d’artiste ; c’est la reconstitution naturelle et fidèle d’une fleur jamais captivée. “Mais notre fleur préférée reste la rose.” En apparence fragile et pas très expansive, la rose est, en fait, fascinante par sa diversité d’odeurs. Elle est à son apogée dans “Rose Absolue” ou elle dévoile toute la richesse de ses origines, espiègle et fruitée dans “Petite Chérie” ou d’une grande féminité dans “Ce soir ou jamais”.
Isabelle reste fascinée par les fleurs blanches. “On les imagine innocentes et charmantes mais leurs odeurs sont plutôt surprenantes. Que la magie et le mystère de la nature restent nimbées d’énigmes… Surtout quelle ne nous livre pas tout.”
Et le mystérieux tilleul !
D’ailleurs, Isabelle adore l’odeur du tilleul, une note délicieuse mais qui ne se dévoile pas spontanément. “Il faut être très rusé pour la sentir, surtout ne pas arriver, narine au vent, cette odeur ne se capte que si on n’a pas l’air de la chercher” ; une chose pour elle, insensée. Et elle avoue, la partie qui m’intéresse dans le tilleul, est tout comme dans un dessin animé, c’est la fumée qui passe, vous chatouille le nez, on en voudrait encore mais fini ; il ne faudrait tout de même pas être trop gourmand. Des histoires olfactives, Isabelle en regorge. Une des plus touchantes est celle du galbanum. Au cours de nos interviews, elle me confie, être tombée sous le choc et sous le charme du galbanum ; à tel point qu’aujourd’hui elle est mariée à un homme…. qui vient du pays de cette résine obtenue du Ferula galbaniflua !….
Et les hommes…
Des parfums pour hommes, Isabelle en a imaginé deux. Attention, elle n’aime que les notes boisées, élégantes alliées à de la fraîcheur. Un terrain sur lequel Isabelle s’est immédiatement entendue lorsqu’elle a fait sentir des bois et des résines à Louis Albert de Broglie. “Dès que j’ai compris son penchant pour les notes sombres comme je les aime, je suis partie sur cette direction. Son cœur est un fir balsam, une note chaude, sucrée, un peu pin pignon et sapin de Noël, sur lequel j’ai greffé des épices telles que la cannelle, l’angélique. Et le lentisque l’agrémentera d’un accent vert résine, sans oublier quelques Hespérides pour la fraîcheur. Un parfum élégant, tendre qui agit sans faire de bruit mais que l’on retient. L’Eau du Prince, une belle création à l’image du Prince Jardinier.
Le second parfum pour Homme chez Annick Goutal, murmure une odeur de sous bois et d’arbres, qui porte le nom de “Duel”. Son thème est un maté associé à une note daim, un cuir souple ; il souffle le froid et le chaud tout en restant doux comme la peau. Et comme le rappelait Annick, “Un parfum est fait pour se faire plaisir. Je connais des extases olfactives, des moments de violent bonheur, d’harmonie totale.”
Nouveau tandem avec Camille Goutal
Depuis sa disparition, Isabelle travaille avec Camille Goutal, sa fille, qu’elle forme sur le tas. Encore jeune, cette dernière a néanmoins le même regard critique que sa mère, tout en gardant un œil averti et celui de la consommatrice. “Les soliflores que nous avons créés sont le souvenir d’une émotion, tout comme les petits poèmes intimistes de Verlaine.” Camille commence à faire des formules ; elle a ses idées et demande néanmoins à Isabelle des conseils. “Je n’ai pas une volonté farouche de transmission car j’ai simplement l’impression que tout préexiste en chacun de nous. J’ai la chance de pouvoir aider Camille comme mes élèves à se révéler”.
Selon elle, un parfumeur ne doit être « qu’un rêveur ou un alchimiste ; un poète qui a choisi son vocabulaire particulier ». Le sien, des notes justes sans jamais oublier tendresse et espièglerie…le monde des fées n’est pas loin !….
Merveilleuse Isabelle, j’ai la chance depuis que je suis rentrée chez Goutal en 1997.
C’est une femme humble, humaine, discrète, fine, simple, heureuse… tant de qualités !
Et son nez est talentueux.
Une chance pour moi d’avoir croisé dans ma vie cette femme unique. Je me sens privilégiée !!!
L’entendre parler de matières premières ou de ses créations est précieux, très précieux. J’essaie à chaque de conserver chaque mot dans ma mémoire (presque olfactive !!!).
Voilà, je t’aime beaucoup Isabelle…
Magali
Merci pour ce joli et charmant commentaire sur Isabelle que j’apprécie aussi beaucoup. Cela été un bonheur et une franche gaieté de l’interviewer.