Qui est Pierre Dinand ?
Ma série des portraits continue… Cette semaine, mon invité est Pierre Dinand : un homme qui a dédié sa vie aux flacons de parfum. Son nom n’est pas connu du grand public mais vous connaissez tous, Opium d’YSL, Femme de Rochas, Amarige de Givenchy, Eternity de Calvin Klein, Armani d’Armani, Eau Dynamisante de Clarins… pour n’en citer que quelques-uns. Même après 50 ans de carrière, il dessine et rêve toujours de nouveaux flacons, avec autant de passion. Pour lui, un flacon est, tout comme dessiner une maison… il est la maison du parfum ! Alors, partons sans plus attendre, à la rencontre de cet homme, pétillant de vie.
Des images, des temples, des monuments, Pierre Dinand en a plein la tête. Sa vie commence par un grand voyage au Cambodge… pour y accomplir son service militaire. Très vite, ce dernier va suivre les cours de l’école des Beaux Arts du Cambodge à Phonom Penh. Puis à la demande de Norodom Sihanouk (Roi du Protectorat Français du Cambodge) qui recherchait un architecte, Pierre identifiera les temples perdus. Ce n’est pas pour autant, que Pierre n’ait pas gardé en mémoire les odeurs de cette région du monde.
Son parfum est celui d’un mélange étrange et unique d’encens, de fleurs avec des relents d’odeur animale puissante, côtoyant des parfums de jasmin, de santal et de poissons chauffés par le soleil. Un cocktail explosif et inoubliable ! Cet homme au physique digne d’une sculpture romaine élégante, sans oublier son regard rempli de douceur, capte sans cesse tous les détails qu’il observe. Pierre aime autant les villes comme Paris, La Rochelle, Prague, San Francisco, Chicago que les couturiers tels Yves Saint-Laurent, Giorgio Armani, Hélène Rochas et des parfumeurs comme Guy Robert, Michel Almairac….
Votre premier flacon est celui de Madame Rochas, avez-vous une anecdote amusante ?
De retour en France, j’ai été engagé par l’agence Dupuy Contact où je dessinais les étiquettes de Cointreau Rémi Martin. Puis, comme j’avais fait de l’architecture, on en a déduit que je pouvais aussi imaginer des flacons de parfum ! Voilà, tout simplement comment ma carrière a démarré ! Pour ce premier flacon Rochas, j’ai demandé à me rendre chez Hélène Rochas pour observer, voir et comprendre son style. C’est là que j’ai vu toute une collection de flacons à sel ou janusettes. Je me suis alors rendu compte que j’avais une opportunité fantastique. J’ai travaillé ce flacon pendant toute une année. Les bouchons étaient en cristal avec un col à charnière, à l’époque. J’ai donc pensé à un bouchon de plastique et métal. Ce fut le premier flacon de parfum fabriqué en automatique. Madame Rochas remporta un tel succès que je fus engagé par la marque. Mon métier de designer de flacons avait commencé pour ne plus jamais s’arrêter !
Quelle est votre plus beau souvenir d’Hélène Rochas ?
Hélène Rochas était une belle femme, d’une grande gentillesse et au goût sûr. Un dîner était organisé une fois par semaine où elle conviait les jeunes couturiers et créateurs de l’époque. J’eus la grande chance d’y être convié très régulièrement et j’en garde des souvenirs inoubliables. Tout le jeune monde artistique, littéraire avait l’occasion de se rencontrer. C’est ainsi que j’ai pu faire la connaissance de Balmain (un homme adorable), d’Yves Saint-Laurent (un passionné), d’Andy Wharol, de Pierre Cardin (peu sympathique), Balenciaga, mais aussi des parfumeurs créateurs comme Germaine Cellier (insupportable), Edmond Roudnitska, Guy Robert.
Hélène Rochas appréciait les parfumeurs. C’était aussi l’époque où les parfumeurs et les designers se côtoyaient et formaient une équipe de choc. Aujourd’hui, j’apprécie des parfumeurs comme Michel Almairac, Olivia Giacobetti, Aurélien Guichard, Sophia Grosjman, Maurice Roucel et Pierre Bourdon. Ma grande force fut de rencontrer tous ces couturiers.
Quels sont les autres couturiers qui vous ont marqué ?
Yves Saint-Laurent sans aucun doute. Il était passionné par l’histoire de l’art, très calé sur l’architecture, la peinture et les dessins. En un mot, c’était une encyclopédie de raffinement. J’ai commencé par travailler pour sa Maison de Couture, en me concentrant sur les couleurs des sacs, le papier à lettre, les étiquettes, le logo rose & orange pour YSL Rive Gauche – en un mot, toute son identité corporate, pendant plus de 15 ans. Enfin, un jour, je suis appellé et on me dit… “Pierre, on a besoin de vous à Marrakech, Yves a une nouvelle idée de parfum”. Je devais penser au flacon du futur parfum inspiré des peintres Orientalistes. Pour m’imprégner de toute l’atmosphère, je suis allé à Marrakech dans leur maison, dans les jardins Majorelle et humer l’air du temps dans la Médina. Il y régnait une ambiance très raffinée.
Pour moi dans le terme Orientaliste, il y a Orient. Très rapidement, j’ai pensé à l’Inro, la boîte chino-japonaise que les Samouraïs portaient à leur ceinture et dans laquelle y étaient rangé du gros sel, des boulettes d’épices et de l’opium. Quand Yves Saint-Laurent vit le flacon, sa réaction fut immédiate, et le nom d’Opium devint une évidence. Le nom du parfum est venu pour la première fois du flacon, contrairement à la tradition de la profession. La suite de l’histoire n’a pas été dès plus facile, les parfums Yves Saint-Laurent appartenait à la société américaine, Squibb…. J’ai aussi apprécié travailler avec Giorgio Armani, Hubert de Givenchy, Balenciaga.
Vous avez travaillé sur le flacon d’Eau Sauvage, pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai travaillé avec Edmond Roudniska, un parfumeur au caractère impressionnant et très obstiné, restant toujours sur ses positions. Il n’acceptait aucune discussion. J’ai donc passé un accord avec lui en suggérant que nous allions ensemble présenter nos travaux à René Bourdon, directeur des parfums Christian Dior, et le père du parfumeur Pierre Bourdon.
La boîte s’inspirait du bois de loupe de noyer que l’on retrouve à l’intérieur d’une Rolls Royce. Une gageure à fabriquer par rapport au flacon ! En réalité, ce parfum très proche olfactivement de Moustache de Rochas, devait s’appeler Favori.…Mais quand Marie-Christine de Wittgenstein (mère de Frédéric Malle) vit la publicité de René Gruau avec un homme dont les jambes étaient poilues, sa réaction fut “c’est un vrai sauvage ! “. Et le nom est resté….pour ce nouveau parfum Dior.
Quelle est l’innovation dont vous êtes le plus fier ?
Calandre de Paco Rabanne. Le créateur voulait un parfum Rolls Royce…. J’ai donc immédiatement songé à la calandre, le cadre métallique qui décore et protège le radiateur d’une voiture. Le flacon a donc été entouré d’un plastique galvanisé. Calandre a été le premier flacon à être entouré de plastique ABS galvanisé. C’est Michel Hy alors parfumeur chez Roure qui réalisa ce parfum.
A l’époque, on nous recommandait vivement de rencontrer les parfumeurs – l’influence de la forme et du fond amenait à raconter de belles histoires et vraies histoires de parfum. J’ai toujours aimé employer de nouveaux matériaux, comme le surlyn pour Amarige de Givenchy. Pour moi, la famille Puig fait partie des plus innovantes dans le monde du parfum. Ils ne cessent d’inventer et d’être différents.
Qu’est ce qui vous motive encore aujourd’hui ?
Je suis toujours passionné par les détails et les prouesses techniques. A chaque fois, j’imagine de nouvelles histoires car je n’aime pas copier les autres. Je suis contre la méthode Procter & Gamble !…. Muni de mon crayon et de ma page de papier, je ne dessine que lorsque j’ai des projets, sinon ma page reste blanche. Je me nourris en allant voir les maisons des gens pour qui je créé, instaurant ainsi un dialogue pour mieux comprendre la personne, son caractère, ses passions.
Aujourd’hui, je travaille avec mon petit-fils Jules, le fils de Jérôme, designer à Shanghaï et au Brésil. Tandis qu’Olivier, mon fils ainé est un passionné de verre, de plastique et de métal. C’est à lui que je fais appel quand je rencontre des pièges !… techniques. Jules réalise les dessins sur l’ordinateur, s’occupe de leur réalisation en 3D, des maquettes et de la photo. Ce dernier m’avoue que ” Travailler avec mon grand-père est un réel bonheur car il est toujours animé de la même passion et du même plaisir à me transmettre le métier.”
Quelle est l’histoire des flacons de Neela Vermeire, Vilhem Parfumerie ou Quintessence ?
Derrière chaque marque de parfum de niche se cache un créateur qui a une histoire à raconter. D’un détail, d’une passion, d’une influence comme point de départ, je dessine le flacon. Dans le cas de Neela Vermeire, c’est l’Inde dont il s’agit. Une histoire d’une richesse incroyable dont je me suis inspiré. Le logo de la marque que l’on retrouve sur le capot illustrent les 24 crêtes symbolisent les 24 heures d’une journée et les 24 rayons, le cycle complet d’une vie. On peut parfaitement concevoir un flacon pour une marque de niche, qui ne soit pas un flacon standard, sans forcément exploser le budget, mais qui apportera de l’originalité !
J’ai beaucoup aimé travailler avec Jan Ahlgren de Vilhem Parfumerie, un homme d’une grande gentillesse. Je suis parti de sa passion pour le hockey sur glace et j’ai conçu un flacon en forme de palet de hockey, dont les stries représentent le mouvement et la vitesse. Il est surmonté d’un bouchon en bakélite jaune orangé, composé de cellulose recyclable, dont le toucher est étonnamment doux. Enfin, Jan voulait que l’ouverture rappelle celle des portières de voitures de luxe : il a donc suffi de tourner le bouchon pour qu’il se lève tout seul, en émettant un joli son caractéristique. Le flacon s’adresse à la fois à la vue, au toucher, et à l’ouïe avant de libérer le parfum…”
Pour Valentine Pozzo di Borgo, la créatrice de la marque Quintessence, j’ai souhaité que ce flacon raconte une partie de l’histoire de la famille Pozzo di Borgo que je connais bien. En fait, le flacon rappelle les colonnes du château des Tuileries, un chef d’œuvre de l’architecture dont une partie des pavillons fut acquise par les Pozzo di Borgo. Les lignes du flacon sont simples, harmonieuses et élégantes. Les matières sont nobles et naturelles avec un sens du raffinement dans les plus infimes détails… J’ai utilisé un verre qui vient de la région de Venise, le bouchon est en bois, un clin d’oeil au maquis corse, tandis que l’or de la bague apporte une touche précieuse à l’ensemble.
Tout comme Pierre aime voyager et découvrir le monde entier, ces flacons de parfum l’ont fait voyager tant en Europe qu’aux Etats-Unis, voire même au Brésil. Pour qui n’a t-il pas travaillé ? Pierre Dinand est un exemple de créativité, s’imposant la qualité, l’originalité et l’innovation des matériaux dans ses flacons. Pour lui, le succès d’un parfum est …. comme une machine à sous : pour remporter le jackpot, il vous faut les 5 cerises (le parfum, le flacon, le nom, la publicité et la distribution).
Le prochain portrait sera celui de Dominique Daviaud de chez Lalique.
Merci bettina pour ce très beau portrait d’un homme formidable qui reste dans ma mémoire et dans mon coeur comme une très belle rencontre professionnelle
Nadia Barbier (ex Chauffaille)
Merci Nadia. Eh oui Pierre Dinand est un des gentleman de la profession.